N. Besombes "Le jeu vidéo est bien plus associé à la sédentarité que d'autres pratiques culturelles"
Souvent accusés de favoriser la sédentarité, les jeux vidéo ne se résument pas à l’inactivité. Nicolas Besombes, chercheur et maître de conférence spécialiste des pratiques sportives numériques émergentes, met en lumière comment l’activité physique peut s’intégrer aux pratiques vidéoludiques.
Les jeux vidéo sont souvent perçus comme une cause majeure de sédentarité. Comment expliquer cette image et peut-on concilier la pratique des jeux vidéo avec une activité physique quotidienne ?
Nicolas Besombes : S'il est évident que le temps quotidien d'exposition aux écrans a indéniablement progressé au sein des dernières générations, cela ne peut servir d’argument scientifique valide pour confirmer l’existence d’une corrélation significative entre la pratique du jeu vidéo et les comportements sédentaires de la population. Les données sociodémographiques font d'ailleurs plutôt état de joueurs et joueuses de jeu vidéo dont les loisirs sont multiples et comprennent une activité physique et/ou sportive, qu'elle soit libre, en club, en milieu scolaire, universitaire ou professionnel.
Les imaginaires populaires ont tendance à associer le jeu vidéo à une pratique d'intérieur, enfantine et sédentaire, alors même qu'il existe des jeux qui se jouent en extérieur, réservés aux adultes, ou dont le gameplay* est fondé sur une activité physique non négligeable reposant sur la motricité des membres supérieurs et inférieurs. Par un effet de glissement sémantique, les caractéristiques attribuées à la pratique du jeu vidéo se retrouvent accolées aux joueurs et joueuses : ils seraient ainsi inactifs et subordonnés à la machine. Ces conceptions proviennent notamment de la stigmatisation que subissent les jeux vidéos et ses pratiquants et pratiquantes depuis le milieu des années 1970 autour des maux dont il serait à l'origine : pratique compulsive, contenu violent, isolement social, inactivité physique, etc. Bien qu'il ne faille pas nier la part grandissante de la population mondiale en surpoids ou en situation d'obésité, force est de constater que le jeu vidéo est bien plus associé à la sédentarité que d'autres pratiques culturelles certainement considérées comme plus « légitimes », comme les échecs, le piano ou la lecture.
*manière de commander les actions virtuelles de son personnage
La pratique du jeu vidéo peut-elle être intégrée dans une approche globale de santé publique, notamment en termes de promotion de l’activité physique ?
Nicolas Besombes : La littérature scientifique regorge de résultats mettant en avant les capacités que certains jeux vidéo permettent de développer :
- physiques : coordination œil-main, acuité visuelle, motricité fine, etc. ;
- cognitives : traitement des informations, capacité à réaliser plusieurs tâches en même temps, mémoire de travail, décodage de l'environnement, etc. ;
- sociales : communication, sociabilités, adaptation, etc.
Parmi l'ensemble des jeux vidéo édités chaque année, un genre en particulier suscite l'intérêt des chercheurs pour ses bienfaits physiques et cognitifs potentiels : les exergames (jeux vidéo actifs), dans lequel le corps du joueur devient la manette via divers systèmes de captation du mouvement. De nombreuses études démontrent leur potentiel pour augmenter la dépense énergétique des joueurs et joueuses. L'activité physique requise pour interagir avec les univers virtuels des exergames correspond à une activité d'intensité modérée à intense, notamment lorsque le jeu implique à la fois des mouvements du bas et du haut du corps. S’ils ont du mal à engager les joueurs et joueuses à un niveau d'intensité vigoureux, ces jeux vidéo actifs provoquent une augmentation modérée de l'activité physique des jeunes à la maison et une faible diminution du temps passé à des activités sédentaires.
Quelle place occupe l’activité physique dans la performance esportive ?
Nicolas Besombes : Plus les joueurs et joueuses s'engagent dans une pratique de performance du jeu vidéo, plus le niveau d'activité physique pratiqué est en adéquation avec les recommandations de santé de l'OMS. Dans le cas de l'esport*, les clubs professionnels ont ainsi intégré depuis plusieurs années des dispositifs et procédures visant à créer des environnements favorisant le bien-être et la performance des joueurs et joueuses. De fait, les équipes s’entourent de plus en plus de psychologues de la performance, de nutritionnistes, de préparateurs physiques, de kinésithérapeutes, etc. L'activité physique joue plusieurs rôles dans ce cadre. Elle permet tout d'abord de s'assurer que les joueurs et joueuses maintiennent une hygiène de vie limitant le déconditionnement physique et l'apparition de pathologies ou morbidités liées à leur pratique professionnelle sédentaire. Ensuite elle favorise également l'oxygénation du corps (chaînes musculaires sollicitées lors de la pratique du jeu vidéo) et du cerveau (cellules des zones cérébrales dont l'activité cognitive est sollicitée par la pratique vidéoludique). Les données sont encore récentes, mais les premières études évaluant les effets d'entraînements en haute intensité (dite « HIIT ») sur les performances de joueurs professionnels, révèlent des améliorations significatives des fonctions exécutives des sujets testés. De là à suggérer que l'activité physique a un impact sur les performances en jeu, il n'y a qu'un pas, mais qu'il faudra encore prouver.
* sport électronique, soit la pratique compétitive du jeu vidéo, quel que soit le support ou le genre de jeu
Nicolas Besombes en 4 temps
- Starting blocks : Nicolas Besombes a obtenu son doctorat en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) à l'Université Paris-Descartes en 2016, avec une thèse intitulée « Sport électronique, agressivité motrice et sociabilités ».
- Top départ : En 2019, il devient maître de conférences en sociologie du sport à l'Institut des sciences du sport-santé de Paris de l'Université Paris-Cité, et cofonde l’Esport research network (ERN), société savante dédiée à la structuration de la recherche sur l’esport à l’international.
- Course : En parallèle de ses activités universitaires, il a été vice-président de l’association France Esports de 2017 à 2021, et accompagne depuis plusieurs années les pouvoirs publics ainsi que les mouvements sportifs et olympiques dans leur acculturation au phénomène esportif.
- Ligne d'arrivée : Il occupe le poste de directeur adjoint de l'UFR STAPS de l'Université Paris-Cité depuis 2023, et a été nommé membre du comité scientifique de l'Observatoire national du sport en 2024.