Rapport Charges et Produits pour 2020 : améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses
Plus de soixante-dix ans après sa création, l’Assurance Maladie apporte chaque jour la preuve concrète de son utilité en rendant possible l’accès de toutes et tous à des soins abordables ou à des prestations compensant les pertes de revenus liées aux aléas de la vie, maladie, incapacité, ou encore maternité. Pour nombre d’entre nous, l’Assurance Maladie est un symbole de ce qui nous unit en tant que société : un système universel, solidaire et redistributif auquel chacune et chacun doit contribuer selon ses moyens et peut bénéficier selon ses besoins.
Ce système repose sur deux piliers complémentaires. Le premier est une exigence, celle de la justice sociale. La maladie frappe en effet souvent les plus faibles, qu’elle affaiblit encore plus : la double charge que représentent la perte de revenus et le coût des soins constitue une forme de piège auquel l’Assurance Maladie doit apporter une réponse la plus concrète et complète possible.
Le second est une nécessité économique. Une protection universelle et solidaire constitue d’abord un choix de société ; elle est aussi un investissement collectif parfaitement rationnel. Car, en privant la société d’une capacité de travail, parfois importante, la maladie pèse de tout son poids sur l’économie. Un tel système d’assurance maladie universel exige cependant pour asseoir sa légitimité et sa pérennité, de trouver son équilibre financier, par un niveau de progression annuelle de ses dépenses conforme à celui de ses ressources.
Aussi cohérent et efficace soit-il, ce système n’en demeure pas moins fragile et perfectible. Il est perfectible dans l’accès offert aux plus fragiles. Comme le montrent les résultats de l’étude présentée dans ce rapport, les personnes qui vivent avec un handicap ont, en dépit d’un état de santé plus dégradé, un recours aux soins parfois moins élevé que celui de la population générale, comme sur les soins dentaires, les consultations spécialisées ou les soins de prévention. Elles peuvent également, alors qu’elles sont souvent aussi en situation de précarité, être amenées à faire face à des niveaux de reste à charge élevés. Si la France offre un système bien plus protecteur que nombre de pays, beaucoup reste à faire dans ce champ. L’Assurance Maladie s’est saisie de ce sujet depuis plusieurs années en mettant en place des dispositifs visant à identifier et accompagner les populations en écart aux soins, ou encore les programmes de service d’accompagnement de l’Assurance Maladie pour les maladies chroniques (sophia) à destination des patients diabétiques. En favorisant l’accès à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et l’aide au financement d’une complémentaire santé (ACS) et, plus récemment, en contribuant à la réforme du 100 % santé pour l’optique, les audioprothèses et les soins prothétiques dentaires, elle apporte des solutions concrètes aux barrières financières à l’accès aux soins.
Notre système est aussi perfectible dans la pertinence et la qualité des soins prodigués aux patients. Comme l’illustrent les résultats présentés dans ce rapport, le non-respect dans la pratique courante de recommandations de bonne pratique et l’importante variabilité géographique des parcours des patients, interrogent l’ensemble des acteurs du système. Il serait vain de tenter d’attribuer à tel ou tel la responsabilité de ces écarts. Tout comme la pertinence d’un parcours est un exercice collectif aux enjeux partagés, la responsabilité de la recherche et de la mise en oeuvre de solutions efficaces pour le patient engage chacun des acteurs, professionnels, patients, régulateurs, à faire évoluer durablement ses représentations et ses pratiques. C’est le sens des travaux que l’Assurance Maladie et la Haute Autorité de santé (HAS) ont initié depuis un an avec les professionnels et les patients, démarche centrée sur deux premiers parcours de soins mais qui a vocation à s’étendre rapidement à d’autres.
Bien que notre pays consacre une part importante de sa richesse nationale au système de santé, celui-ci reste économiquement fragile. Comme le montrent chaque année les données de la cartographie médicalisée, de nombreux facteurs contribuent à la hausse des dépenses d’assurance maladie.
Le premier de ces facteurs est démographique et épidémiologique. Plus d’un assuré du régime général sur trois vit en effet avec une ou plusieurs maladies chroniques, soit près de 20 millions de personnes, un effectif en constante croissance.
Le deuxième facteur est l’innovation, à laquelle notre pays donne un accès large et rapide. Arrivent à une fréquence régulière de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux dont le coût atteint parfois des montants vertigineux. Les effets en sont parfois sensibles à l’échelle du système, comme avec les traitements antirétroviraux de l’hépatite C en 2014, ou plus récemment l’arrivée de l’immunothérapie dans le cancer du poumon, pathologie pour laquelle la dépense moyenne par patient a augmenté autant entre 2016 et 2017 que sur les cinq années précédentes du fait de ces nouveaux traitements.
Le troisième facteur est la non-pertinence, la non-qualité et le gaspillage, à la double conséquence sanitaire et économique. Ce facteur expliquerait de 20 à 30 % des dépenses, dont une partie serait plus ou moins aisément évitable : réhospitalisations, prescriptions d’actes ou traitements inutiles, mais aussi à l’inverse, interventions utiles non proposées au patient, actes pertinents non réalisés, traitements efficaces non ou mal prescrits, mauvaise adhérence des patients au traitement…
Ces facteurs sont dans une certaine mesure liés les uns aux autres. L’exemple de l’insulinothérapie dans le diabète développé dans ce rapport est assez illustratif. L’augmentation du recours à cette modalité de traitement, y compris pour des patients peu autonomes, s’est traduite par une modification de la nature de la dépense et, plus récemment, par une augmentation de la dépense moyenne par patient, avec la diffusion de dispositifs innovants, comme les pompes à insuline ou les dispositifs de mesure continue de la glycémie, censés améliorer la qualité de vie, l’observance et, in fine, la santé du patient. L’étude fine de cette diffusion, présentée dans ce rapport, montre de nombreux indices d’une utilisation non pertinente de ces dispositifs, qu’il s’agisse de leur prescription ou de l’adhésion des patients à leur utilisation, appelant un ensemble de réponses adaptées.
Ces défis ne seront pas relevés facilement. Cela demande du temps et de l’engagement. Cela demande aussi d’agir avec méthode.
Le premier élément de cette méthode est l’engagement collectif. Les changements dans l’organisation et le fonctionnement de notre système de santé ne peuvent se faire sans les premiers concernés, patients et professionnels de santé, ni contre eux. Ils doivent au contraire en être les porteurs, charge au régulateur de leur offrir un cadre favorable et aidant. Il s’agit d’un principe fort, qui sous-tend aujourd’hui l’action de l’Assurance Maladie en matière de pertinence.
Le second élément est l’autonomie et la responsabilisation des acteurs. Le cadre fixé par la loi ou la convention doit pouvoir laisser suffisamment d’autonomie aux acteurs pour adapter leurs organisations et leurs pratiques aux besoins de leurs patients et des populations qu’ils servent, tout en assurant un accès équitable et un financement soutenable. C’est dans cet esprit que l’Assurance Maladie a animé la vie conventionnelle ces dernières années, au fil des négociations menées avec chacune des professions concernées en mettant la question de la coordination au coeur des discussions. Les négociations sur les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), récemment conclues, en sont l’illustration. Il revient désormais aux acteurs de se saisir de cet outil, central pour développer des modes de travail plus collectifs et décloisonnés favorables à des parcours de soins pertinents. C’est dans cet esprit également qu’elle propose d’expérimenter un nouveau mode d’organisation et de financement des soins médicaux, ambulatoires ou de courte durée, dans les établissements de santé. Le cadre posé par l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2018, dont le principe avait été proposé dans l’édition 2018 de ce rapport, apparaît comme le vecteur naturel de ce type d’innovation.
Le troisième élément est la cohérence de l’action. Les signaux envoyés par les modes de financement doivent être alignés sur les objectifs du système de santé. Trop souvent, les acteurs constatent les injonctions contradictoires qui résultent de cette absence d’alignement. La mise en place de dispositifs de financement qui permettent de partager avec les acteurs le fruit de leurs efforts et les bénéfices que leur comportement vertueux a permis de générer pour la collectivité est, à ce titre, particulièrement pertinente. C’est le sens de dispositifs comme la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp), ou l’accord conventionnel passé avec les radiologues, et c’est dans cet esprit que l’Assurance Maladie propose de mettre en place un dispositif d’intéressement aux prescripteurs sur la bonne prescription des médicaments.
Si la méthode est importante, elle ne peut tenir lieu d’objectif. Ceux que poursuit l’Assurance Maladie à travers les réflexions et propositions exposées dans le présent rapport renvoient à sa mission première et sa raison d’être aux services des assurés sociaux : une plus grande pertinence et une meilleure qualité pour protéger chacun face au risque avéré ou à venir de la maladie ; une mobilisation de tous afin d’agir plus efficacement ensemble en soutien d’une protection qui puisse bénéficier demain encore aux générations à venir.